Melle, 3 800 habitants et 300 œuvres (Article paru dans La croix du 23/08/2011)

Le virus a gagné cet été une quarantaine de commerçants. À Melle, l’art contemporain fleurit partout : à la pharmacie, chez la boulangère et l’opticien son voisin, et jusque dans le restaurant d’en face… Mais il y a aussi des œuvres sur la façade de la mairie, de la Poste, dans la médiathèque, au foyer de personnes âgées… Et encore dans les hauts lieux de cette « cité d’art et d’histoire » : les mines d’argent des rois carolingiens, les trois superbes églises romanes et l’hôtel de Ménoc, d’époque Renaissance, ancien siège du tribunal d’instance.

Cette étonnante épidémie attire dans la petite commune des Deux-Sèvres un public venu de tout le Poitou-Charentes et au-delà, des amateurs fidélisés au fil des cinq éditions successives et chaque fois plus nombreux. Plus de 18 000 entrées ont déjà été comptabilisées cette année. Une réussite qui est le fruit d’un vrai travail collectif.

UNE MANIÈRE DE VALORISER LE BÂTI DE LA COMMUNE

« Il y a plus de trente-cinq ans, l’ancien maire, Jean Bellot, autodidacte, humaniste, a voulu valoriser le patrimoine naturel et bâti de la commune. C’est lui qui avait lancé des expositions dans les églises romanes », rappelle Françoise Lemaire, adjointe à la culture. Confiées en 2003 à Dominique Truco, ancienne directrice de l’art contemporain au Confort moderne à Poitiers, celles-ci ont pris, avec le soutien de l’État, du département et de la région, un tour inattendu. « J’ai commencé par faire trois mois de porte-à-porte pour rencontrer tous les acteurs de Melle.

Il était essentiel pour moi d’associer la population à cette aventure », se souvient cette femme enthousiaste, qui conçoit l’art comme une « lumière sur le monde », à partager avec le plus grand nombre. En cinq éditions, un seul commerçant a finalement refusé d’exposer. D’autres, d’abord un peu réticents, se sont attachés aux œuvres, tellement que deux les ont même achetées. « On rencontre toujours l’artiste et c’est passionnant », témoigne Magalie, la libraire. Mieux, les habitants sont invités à participer activement à certaines œuvres.

Cette année, la Japonaise Chiharu Shiota leur a ainsi demandé d’apporter chacun une chaussure, accompagnée d’un texte narrant ses pérégrinations. Au total, 500 souliers ont été collectés, du chausson de bébé à l’escarpin d’une mariée, tous désormais reliés par un arachnéen fil rouge dans une installation spectaculaire à Saint-Savinien. L’œuvre symbolise la fraternité des hommes au-delà de leur diversité. Tandis que, dans une vidéo voisine, l’urbaniste et philosophe Paul Virilio évoque la grande migration à venir d’un milliard d’habitants chassés de leur terre d’origine par les changements climatiques, les guerres…

UNE ÉDITION INTITULÉE « HABITER LE MONDE »

Cette édition 2011, intitulée « Habiter le monde », s’attache ainsi à l’exil et à la figure de l’étranger, un thème brûlant d’actualité que déclinent 24 artistes en 300 œuvres… Parmi eux, des créateurs très reconnus comme Christian Boltanski ou Claude Lévêque qui ont représenté la France à la Biennale d’art contemporain de Venise, le Camerounais Barthélémy Toguo, ou l’Américain Gary Hill. Mais aussi des artistes nés ou installés dans la région, tels Dominique Robin qui a photographié des étudiants guinéens contraints de lire la nuit dans la rue, à la lueur de l’éclairage public, ou encore Massinissa Selmani, jeune originaire d’Algérie, qui évoque le printemps arabe dans un dessin animé. « Ici, l’art a du sens », se réjouit une visiteuse venue de Tours.

Au fil des biennales, certaines œuvres ont même pris racine à Melle. Le château d’eau porte désormais l’enseigne de « Musée des nuages » donnée par Sylvain Soussan. La maternelle a été rebaptisée « Melle en art », à la faveur d’une anagramme offerte par Michel Jeannès. Le Japonais Tadashi Kawamata a laissé, lui, un chemin de bois qui zigzague dans les herbes hautes, comme un « chemin de philosophe ». Et le paysagiste Michel Clément a créé en 2007 un « jardin de résistance », peuplé d’orties. Depuis, les services techniques de la ville, très impliqués dans chaque biennale, ont décidé de se passer de pesticides. La preuve que l’art ici change aussi la vie ?

Pour cette édition 2011, Céline Boyer, 32 ans, a photographié la main d’une vingtaine de Mellois, issus de pays étrangers, avec, surimprimée sur leur peau, la carte de leur territoire d’origine. Le tracé des routes, des rivières s’y fond magnifiquement avec les plis et les rides, dessinant des lignes de vie, que retrace à côté un court récit confié par chacun des modèles. Dans son salon de coiffure où trône une de ces œuvres, Christian l’avoue, un peu songeur : « On se rend compte que beaucoup de Mellois viennent d’ailleurs… » Plus loin, une affiche de l’artiste Pascal Colrat lui répond, en écho : « Il n’y a pas d’étrangers, il n’y a que des gens que l’on ne connaît pas encore. »

Jusqu’au 18 septembre, accès gratuit. Rens. : 05.49.29.15.10

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